Livre des conjurations

(ADIV 5 Fb 10)

« Livre des conjurations » : c’est par ces mots en guise de titre sur une couverture parcheminée que s’ouvre un bien curieux registre conservé sous la cote 5 Fb 10 aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Les restes d’un cachet de cire qui scellait ce registre y sont encore visibles ainsi qu’une autre annotation, « Archives du Palais », qui doit être faite de la main de Paul Parfouru, archiviste du département entre 1891 et 1905. Ce registre peut étonner à plus d’un titre : il n’est pas daté, même si l’on peut cerner la période, ses contenus et son usage interrogent et puis surtout, comment ce « livre des conjurations » est-il arrivé aux Archives départementales ?

Comme indiqué plus haut, il est probablement issu des archives du palais de justice de Rennes, ancien parlement de Bretagne, d’où il a pu en être extrait à la fin du 19e siècle[1], comme des dizaines et des dizaines d’autres documents sortis du vrac immense dans lequel étaient mêlés les arrêts, procès-verbaux, minutes et autres procédures civiles ou pénales non seulement du parlement mais aussi des autres juridictions, présidial et justices seigneuriales, laissés en déshérence depuis la Révolution et que les archivistes du département tentaient de classer, tant bien que mal, depuis quelques années.

Les scellés en cire rouge encore présents sur la couverture peuvent laisser penser que ce registre avait été saisi dans le cadre d’une procédure judiciaire ce qui expliquerait sa présence dans le grenier du palais. Après tri, le registre est cependant rangé dans la série F, où l’on trouve tout ce qui ne se rattache pas directement aux documents officiels, dans une rubrique « Sorcellerie » avec 12 autres références relatives à l’alchimie dont deux autres « livres de conjuration ». Ce faisant, les archivistes ont probablement voulu faire connaître ces objets curieux. 

Un livre de sorcellerie, c’est quoi ?

Le registre comprend 208 pages et est scindé en deux parties, une partie en français de 164 pages et 1 dessin, une autre en latin de 43 pages. Si les textes paraissent bien avoir été écrits de la même main, il faut bien reconnaître que l’orthographe n’est pas le fort de son auteur qui écrit sans véritablement faire attention : l’home puis l’homme, plennette pour planète, charitté, comerce, lestres, sellon, erbes, sangt, ost, poulmon, lempe… Dans le détail, ce vade-mecum de la conjuration précise les différentes formules à proférer en fonction de nombreux éléments (saison, position des planètes, heures du jour et de la nuit, anges à invoquer tel jour ou tel autre…) et donne la manière de construire le cercle magique… On apprend ainsi que demander l’aide des esprits du mardi c’est « dexcitter les combas les meurtres et les mortalittés et les embrasement et de donner des soldas et la mort et la maladie et la santé ». Soigner une plaie, arrêter le sang, se faire aimer des femmes quand on demande à Agamath d’intercéder, parler à l’esprit en ermite…

(ADIV 5 Fb 10 pages 1 et 2)

Ce « livre des conjurations » est un exemple parmi les très nombreuses publications qui ont circulé en France et en Europe depuis le Moyen Age. La plus célèbre d’entre elles, Le Livre de la Clavicule du roi Salomon, a été très répandue du Moyen Age au 19e siècle. Le Livre des conjurations du pape Honorius figure aussi en bonne place parmi les succès éditoriaux. Il peut prendre des titres différents en fonction des auteurs et des pays.

Le registre conservé dans nos fonds mériterait une étude approfondie et comparée. Le commentaire que vous venez de lire ne fait qu’en effleurer la richesse. Retrouver trace des personnages cités, étudier les écrits… Le projet Agrippa est peut-être le début d’un travail plus important…


Le projet Agrippa

Les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine ont lancé en 2020 le  « Projet Agrippa » : il s’agit d’inviter les enseignant·es des élèves latinistes du département à collaborer et à participer à la traduction de ce manuscrit du XVIIIe siècle.

Les 44 pages des conjurations latines sont consultables in situ, mais numérisées et transcrites : elles sont aussi disponibles pour un travail à distance. Les professeurs et les classes découpent et se partagent le texte, en fonction de leurs envies et de leurs besoins pédagogiques, mais toujours dans un esprit collaboratif et de bienveillance. L’ambition est de parvenir grâce au travail des élèves et de leurs professeurs à la première traduction complète des formules latines de ce grimoire, et rendre ainsi ces formules accessibles à tous. 

Découvrir le projet Agrippa sur le site des Archives départementales


[1] ADIV, 3 T 12.

Éric Joret et Claudia Sachet, Archives départementales d’Ille-et-Vilaine